Cassandra's Dream : Woody Allen moraliste ?

Publié le par Thomas Grascoeur

        Avec Cassandra's Dream (Le rêve de Cassandre), Woody ALLEN signe un film à thèse qui fait écho à son chef-d'oeuvre Match Point. Une oeuvre de moraliste ? Peut-être. Mais dans Le Rêve de Cassandre, attention à ne pas se laisser mener en bateau !


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Le résumé :
 

        "Vous êtes de bons garçons et j'ai toujours fait attention de vous aimer autant l'un que l'autre" confie le père à l'un de ses fils. La situation de départ est symétrique comme un voilier sur une mer étale : un père, une mère, et deux fils complices.

        Le père voudrait bien qu'un de ses fils prenne sa suite au restaurant, "l'oeuvre de sa vie" comme dit sa femme. Mais les fils n'en ont pas la moindre envie... Et il faut dire que ce ne sont pas n'importe qui, les fils de cet homme là : ce ne sont ni plus ni moins que Colin FARRELL (Terry), à peine rasé depuis Deux Flics à Miami, ours au grand coeur, alcoolique et bourru, aide garagiste, qui joue sa paye aux courses mais est toujours prêt à venir en aide à son frangin, et Ewan Mac GREGOR (Ian), le cerveau de la famille, qui semble encore tout frais sorti de l'étang de Big Fish, le sourire au lèvres et le gel aux cheveux. Mais cette fois-ci son sens des affaires tourne court et il préfère, en attendant de trouver une mare à sa taille, travailler dans le restaurant de son père et draguer les serveuses.
        L'intrigue s'enlise un peu, mais au-dessus de cette grisaille londonienne planne l'ombre bienveillante d'un oncle providentiel, Howard, qui a fait fortune en Chine (nouvel American Dream) et vers qui se tournent tous les espoirs.


        Seulement, voilà, Ian tombe amoureux d'une actrice, il veut prétendre à un certain standing, mais quand il demande à son frère Terry de lui prêter la voiture de collection d'un client, celui-ci lui avoue qu'il a perdu près de 90 000 livres au jeu. C'est la désolation. 


        Coup de théâtre, voici que l'oncle Howard (incarné par le génial Tom WILKINSON, hypocrite à souhait) est justement de retour au pays ! et les deux garçons s'empressent de lui demander conseil, avec la bénédiction parentale. L'oncle est magnanime. Il comprend et pardonne... Mais voilà, lui aussi a un souci, il a des ennuis dans ses affaires,  il a mis en place des pratiques plus ou moins condamnables, et il faut à tout prix qu'un ancien président de l'une de ses fondations ne parle pas. Les frères, pour l'argent et par sens de la famille, accepteront de l'éliminer. Et le film s'achèvera sur leur mort.


L'analyse :

        Dans Paranoïd Park, le grand problème, c'était "l'indifférence". Ici, c'est l'égoïsme. La différence, c'est la préméditation du meurtre. Comme lors de Match Point, on flirte à nouveau avec DOSTOÏEVSKY.
        Si dans Match Point, les hasards des rebondissements dignes des meilleurs films de KIESLOWSKY,  étaient soulignés par des airs d'opéra au dénouement inéluctable, ici, la musique de Philip GLASS se cherche, mais le châtiment fait suite au crime.
        
        Un film moral, alors ? Oui et non. Autant que Match Point, et aussi peu.

        Si Dieu n'existe pas, tout est permis. Mais a contrario, si Dieu existe, le crime est condamnable. C'est le doute même, l'hypothèse de l'existence de Dieu, qui révèle les consciences. Terry craint Dieu ; le remords le ronge. Ian n'y croit pas ; il ne voit que son avenir éblouissant. Il tue sans remords, mais contrairement à DOSTOÏEVSKY, tout n'est pas pour autant permis, puisqu'il ne tuera pas son frère.

       A la fin, Woody ALLEN brise la progression inéluctable de son film : Ian devrait tuer Terry puisque son remords le rend potentiellement dangereux, mais quelque chose l'arrête. Terry ne devrait pas tuer Ian, puisque ce n'est pas dans "l'ordre des choses" de tuer. Et pourtant, Terry, accidentellement, tue son frère, alors qu'il voulait le sauver. "On a toujours le choix", venait-il de dire. Le film lui donne tort. Et on entend encore les dernières paroles de Ian à son frère: "Tu as tout gâché".
        Dans un SHAKESPEARE, tous auraient succombé, l'oncle, le père, la mère, les filles, puisque tous, de près ou de loin, sont responsables. Là, non, le crime était parfait, il aurait pu rester non-élucidé, comme dans Match Point... Tout se serait bien passé si Terry n'avait pas eu de sens moral. Le sens moral l'a conduit à un crime encore plus atroce que l'appât du gain.

        Et loin d'être l'oeuvre d'un moraliste, n'est-ce pas là l'interrogation de Woody ALLEN : est-on condamné à être poursuivi par les oracles de Cassandre, ou peut-on vivre sans morale ?

Publié dans Etats-Unis

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